Poulet Gaston Gérard

Bien que méconnu dans le Jura sous ce nom, le poulet « Gaston Gérard » est un plat traditionnel des cuisines comtoises, à base de poulet, vin blanc, crème fraîche, moutarde de Dijon, Comté, et paprika. La recette en a été « inventée » en 1930 par Reine Geneviève Bourgogne, et baptisée du nom de son mari, l'homme politique dijonnais Gaston Gérard. Mais en connaissez-vous tous les secrets ?...
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Oups ! Histoire d’une maladresse

Au-delà de sa sapidité remarquable, cette recette est née en août 1930 à la suite d’un ridicule accident de cuisine.

Le mois de juillet a été épouvantable, il a plu très fréquemment et en quantité diluvienne. Mais en cette fin d’été, comme le naturel que l’on chasse, les fortes chaleurs reviennent au galop, et certains Dijonnais n’hésitent pas à aiguayer leurs corps suant dans le Suzon, l’Ouche ou le canal de Bourgogne (le Lac du Chanoine Kir ne sera créé que 34 ans plus tard).

Reine-Geneviève Bourgogne, première épouse de Gaston Gérard (voir plus bas), prépare badinement à leur domicile de la rue du Petit-Potet à Dijon un poulet dont la chronique de l’époque ne nous dit pas s’il était de Bresse. Il fait frais dans ce coquet appartement traversant, légèrement orienté vers l’Est pour ne pas trop subir les ardents rayons solaires de l’après-midi.

Leur dîner ce soir-là s’annonçait des plus fins : l’illustre Curnonsky, humoriste et célèbre critique culinaire du moment et autoproclamé « Prince des gastronomes » (voir aussi plus bas, mais pas tout à fait aussi bas) venait festoyer entre amis.

Et sur les coups de 18h16 ou 18h17, patatras, le drame se noua. Sans doute légèrement émue par les nombreux verres de liqueur de cassis noyée dans ce petit aligoté que son cher ami Edmond Gaudin de Villaine, propriétaire du domaine de la Romanée-Conti, lui fait venir de Bouzeron, en Saône-et-Loire limitrophe, et dont son confesseur le célèbre chanoine, par ailleurs futur successeur de son mari à la Mairie de Dijon, fit un cocktail mondialement réputé à défaut d’être buvable… sans doute émue, disions-nous, par l’absorption répétée de ce breuvage national, elle renversa dans la cocotte où brunissait innocemment le poulet le pot de paprika qui se trouvait sur l’étagère à épices bancale que son très occupé mari avait promis de fixer il y a déjà plus de 6 mois, mais c’est toujours pareil, il dit qu’il va faire mais il ne fait jamais rien, cet empoté.

C’était d’ailleurs son mari qui lui avait offert ce paprika l’an dernier, de retour d’un voyage à Budapest chez son ami le chercheur Albert Szent-Györgyi, qu’il avait rencontré pendant ses études de droit parisiennes dans un estaminet enfumé de la rue Soufflot et devenu très populaire (Albert, pas l’estaminet) dans le monde entier depuis sa découverte en 1928 de la Vitamine C dans le paprika (le fruit frais hongrois, pas la poudre), une découverte retentissante qui lui valut d’ailleurs le prix Nobel de médecine en 1937.

Malgré le choc de sa mésaventure, Reine-Geneviève rassembla en parfaite maîtresse de maison ses esprits et quelques ingrédients. Par bonheur et grâce à ses prières quotidiennes à Sainte-Sobriété, il restait un fond d’aligoté. Hop dans la cocotte. Hop dans la cocotte aussi la généreuse cuillère de moutarde de Dijon qu’elle ajoutait dans chacun de ses plats, fierté bourguignonne oblige, ce qui commençait à lasser Gaston, qui cherchait de plus en plus un prétexte pour quitter la table, comme par exemple son téléphon qui son.

De plus, la chance veillait : notre ménagère (de moins de cinquante ans) avait la joie d’être l’une des toutes premières françaises équipée d’un « Monitor Top Refrigerator » de General Electric, importé directement de Chicago grâce aux liens étroits que son mari, décidément indispensable celui-là, avait tissé lors de ses multiples voyages outre-Atlantique en 1929, année si prospère pour ceux qui avait le sens du business, avec Alphonse C. Apone., dynamique entrepreneur de l’Illinois qui aura quelques tracas judiciaires en 1931 pour d’obscures raisons fiscales. Elle y entreposait au frais et à l’abri ses aliments les plus fragiles, au contraire du commun de ses contemporains souvent victimes de bactéries issues de produits gâtés car entreposés trop au chaud, et dont elle tirait une fierté un peu garce, presque du mépris.

Alors hop dans la cocotte une grosse louche de crème épaisse bien fraîche et une large poignée de Comté râpé, qu’elle se procure habituellement chez un petit crémier des Halles, un peu filou puisqu’il se fera condamner pour fraude au Comté en juillet 1952, ce qui provoqua d’ailleurs la première reconnaissance judiciaire du Gruyère de Comté. Hop au four quelques minutes le temps que la réaction de Maillard forme une fine croûte gratinée au sommet du plat, et messieurs, s’il-vous-plaît, à table.

Ce fut un triomphe. Curnonsky se gobergeait littéralement de ce nouveau plat qu’il est le premier à déguster, et ne tarit ni d’éloges ni les Montbéliardes qui ont donné leur précieux lait pour la crème et le fromage. Il n’oublia évidemment pas de flatter une Reine-Geneviève rouge à la fois de confusion et de soulagement, et comme il était coutume à l’époque d’attribuer à l’homme ce qui appartenait à la femme, baptisa le plat du nom de son mari.

Et c’est ainsi que naquit le « Poulet Gaston Gérard », dont nous vous recommandons une consommation régulière dans le cadre d’une alimentation saine, équilibrée et variée.

Gaston Gérard, le premier Ministre du Tourisme (1878-1969)

Maire de Dijon de 1919 à 1935, député de la Côte-d'Or, Gaston Gérard a modernisé et développé Dijon, sans que cette modernisation défigure le centre ancien. Ses activités de promotion de Dijon, de la Bourgogne et de la France pour lesquelles il donne dans les années 20 plus de 600 conférences dans 32 pays lui valent de recevoir le premier portefeuille français du tourisme en mars 1930. A son poste, Gaston Gérard travaille à une vaste politique du tourisme : développement du thermalisme, organisation de la marine marchande et de l'aviation civile, échanges touristiques, classement des villes en stations touristiques, organisation d'expositions touristiques, fête des vins de France, qui se répétera chaque année. Il fait même rénover le réseau routier et mettre au point le code de la route.

Reine-Geneviève Bourgogne

Cette maladroite gourde que son mari répudiât plus tard, n’a, elle, pas eu l’honneur de léguer son patronyme à la postérité, préférant se retirer sucrer les fraises au Couvent Saint-Wandelin, le patron des volailles, en Basse-Bavière, et devenir une éminente spécialiste des grandes erreurs de l’Histoire contemporaine en publiant notamment la biographie des sœurs Tatin, la vérité sur la légende du Vase de Soissons et la plaidoirie d’Emile Afchain pour son imaginaire procès en réhabilitation à la suite de la triste affaire dite des bêtises de Cambrai.

Curnonsky, le Prince du Château-Chalon (1872-1956)

De son vrai nom Maurice Edmond Sailland, Curnonsky est l’un des plus célèbres gastronomes français. Il fut sacré « prince des gastronomes » en 1927. Cuisine et vins de France, son monument de 856 pages, parait en 1953 chez Larousse. Du haut de son expérience de gastronome, il décréta 5 crus comme étant les meilleurs vins blancs du monde : le Château Grillet, le Château d’Yquem, le Montrachet, la Coulée de Serrant et… le Château-Chalon ! Ces cinq Curnonsky constituent aujourd’hui encore un mythe pour tous les œnophiles.

La recette du Poulet Gaston Gérard

Ingrédients pour 4 personnes

  • 1 Poulet de Bresse AOC découpé en 4 morceaux par votre volailler
  • 300 g Comté AOC fruité râpé : 250 g pour la sauce + 50 g pour gratiner
  • 10 cl de Château-Chalon AOC
  • 50 cl de crème de Bresse AOC
  • 25 g de beurre de Bresse AOC + 5 cl d’huile végétale
  • 1 cuillère à soupe de moutarde si possible de Dijon
  • 1 pot de paprika prêt à être renversé
  • Sel et poivre

Étape 1

Assaisonner les morceaux de poulet de sel et de poivre. Faire fondre le beurre dans une cocotte avec l’huile, et y saisir les morceaux poulet jusqu’à ce qu’il soit bien doré sous toutes ses faces. Noter sans y prêter non plus une attention démesurée la drôlerie de faire revenir du poulet dans une cocotte.

Renverser alors négligemment le pot de paprika en s’écriant « oh zut, mon dieu, mon poulet, qu’ai-je fait ? que va devenir mon poulet ? Vais-je arriver à surmonter la honte de cette ridicule maladresse ? » à voix haute, plusieurs fois si nécessaire.

Passer à feu doux, couvrir la cocotte et laisser cuire 45 minutes.

Étape 2

Disposer ensuite les morceaux de poulet dans un plat à gratin et réserver. Préchauffer le four (240°C, th. 8). Retirer l’excédent de graisse de la cocotte et déglacer les sucs de cuisson en grattant avec une cuillère en bois et la moutarde. Ajouter 250 g de Comté et laisser fondre quelques minutes en remuant. Ajouter la crème.

Étape 3

Verser cette sauce sur les morceaux de poulet et parsemer des 50 g de Comté restants. Faire gratiner au four, puis arroser de Vin Jaune seulement à la sortie du four, et servir aussitôt.